Il y a déjà deux bonnes semaines
que je m’éveille un peu avant l’aube, signe que le printemps est à nos portes.
Non pas que je sois stressé. Simplement, mon corps ressent l’appel de la
nature.
Depuis de nombreuses années, dans
les jours qui précèdent l’arrivée officielle du printemps, je remarque que mon
horloge biologique devance légèrement l’horloge astronomique et bien davantage
l’horloge analogique. Ainsi, je me réveille avant que la lumière du jour se
fasse insistante à la fenêtre de la chambre. Côté réveille-matin, le changement
à l’heure avancée (heure d’été) n’aura lieu que dans quelques semaines.
Pourtant, j’ai les yeux grands ouverts. Je me sens reposé, disposé à me lever
et à entreprendre une autre journée.
À l’écoute de mon corps, ces doux
moments de transition m’offrent du temps pour faire le point sur les événements
qui auront tôt fait de bousculer l’horaire de la journée. Rendez-vous,
imprévus, tâches à réaliser, étude, devoirs, entraînement, ami(e)s… Sans les
réviser dans un ordre particulier, ils ont tous leur importance, façonnant,
rythmant à leur manière une journée qui s’annonce, comme toujours, tumultueuse,
heureuse, bien remplie.
Loin d’être seul dans cette situation,
les oiseaux s’activent eux aussi à l’extérieur. Dans la haie on piaille et on zinzinule
à qui mieux mieux, signes d’une fébrilité certaine. L’air n’est pas en reste jouant
du vent dans les rideaux comme d’un instrument dans les oreilles. Ici, doux
bruissements annonçant une journée particulièrement douce pour ce moment de
l’année. Là, une gouttière se prend pour un pipeau et joue de l’eau comme un ruisseau.
À ce rythme, avant longtemps les signes de ce rude hiver ne seront que
souvenirs.
Comme en font foi les volatiles, indéniablement,
je ne suis pas seul dans cette situation. Combien sommes-nous à la vivre?
Depuis combien de printemps? Avant, bien avant le réveille-matin, outil né de
la technologie et de ce besoin irrépressible chez l’Homme de mesurer et
d’indiquer le temps, c’est le rythme naturel des astres et des saisons qui
guidaient nos actions, nos pulsions.
L’approche de l’équinoxe du printemps
annonce depuis des temps immémoriaux la préparation aux semis, l’appel des
grandes migrations. Le moment où l’obscurité bascule au profit de la
luminosité, cette lumière qui veille à égayer nos sens, à stimuler idées et
activités. Si je n’écoute que mon corps, j’ai le goût de sortir de bouger, de
jogger.
Pulsion par laquelle je me laisse porter.
Une bouchée, une gorgée et quelques exercices d'échauffement plus tard, me
voici à l’extérieur, près à courir mon cinq kilomètres matinal. Au gré des pas,
la réflexion matinalement entreprise se poursuit et elle me dit que nos
ancêtres médiévaux ne courraient certainement pas pour le plaisir, mais
devaient utiliser leurs jambes pour fuir, se déplacer, en fonction de besoins
précis, autrement plus primaires que les nôtres. Pour survivre, se nourrir, mais
aussi pour se réunir, s’entraider et pourquoi pas, jouer, célébrer, danser. Au
passage, je salue un autre coureur. Au loin, les couleurs du jour se font plus pastel,
moins intenses. Signe que l’astre du jour a maintenant franchi la ligne
d’horizon. Quelques pas devant moi, d’autres coureurs/coureuses qui semblent
aller au même rendez-vous que moi. Vers la santé, la forme, le bonheur.
En fin de parcours, les étirements
font aussi partie du rituel. Je songe aux bienfaits de ces précieuses petites
actions. Athlètes de haut niveau, astronautes, artistes de la piste, tous
doivent s’y astreindre afin d’aider leur corps à être une machine optimale. Pas
trop pire, je suis encore souple. C’est sans commune mesure avec ces
contorsionnistes qui ne cessent de nous impressionner.
Songe plus intense malgré mon évident
état d’éveil. Mais où ai-je la tête ce matin? Temps et espace semblent se jouer
de moi. Comme si d’habitude il n’en était rien. Médiévaux et contemporains par
monts et par vaux, la plupart d’entre eux devaient se rendre au bourg, au
château, au village, comme nous vers la ville, presque par instinct. Guidés par
la lumière nouvelle du printemps, par la rumeur de l’agglomération au loin, par
les sons musicaux et la fièvre festive qui s’en dégagent. Aussi, par besoin de
se rencontrer, de prendre des nouvelles des autres, de se taquiner et de jouer.
De partager nos rêveries et nos idées d’un monde meilleur, concoctées au pied
du foyer. Je me remémore tout à coup ces quelques vers si à propos.
« Hiver,
Temps de cumuls, temps de reculs, temps de reclus,
Temps d’accumulations, temps de méditations, tant de préparations.
Printemps, temps des princes,
Des idées grandissantes au grand jour, aux jours grandissants.
On ne peut grandir sans.
Sans les idées de nos futurs. Sang des idées pour le futur. »
Temps de cumuls, temps de reculs, temps de reclus,
Temps d’accumulations, temps de méditations, tant de préparations.
Printemps, temps des princes,
Des idées grandissantes au grand jour, aux jours grandissants.
On ne peut grandir sans.
Sans les idées de nos futurs. Sang des idées pour le futur. »
La succession des saisons et tout
particulièrement cette transition d’une à l’autre amène vraiment une fièvre
stimulante. On a envie de jouer des mots, de faire virevolter les idées, de
surprendre l’autre, de personne à personne et par nos outils numériques
interposés. De les faire interagir, de se mesurer et de s’entraider. De
coopérer, de compétitionner.
Meneurs d’aujourd’hui, accompagnateurs
de l’avenir en devenir, ce printemps, signe tangible de renouveau, nous
interpelle et nous dit à mots doux, subtiles et intenses, presque impératifs, qu’on
se doit d’aménager le temps et l’espace pour que les idées d’aujourd’hui
forment le concret de demain. Hier, les sages des environs se réunissaient aux
pieds des contreforts de la ville avant d’y être admis. Aujourd’hui, ils sont
côtoyés de ceux qui, nés avec la technologie, voient pensent et vivent le monde
autrement. Indéniablement, ils sont omniprésents. Prenant à contrepied les
contreforts de cette ère, ils y entrent de plain-pied au sens fort.
Belle occasion pour les meneurs
d'aujourd'hui de momentanément tirer leur révérence au profit de la référence
de demain. Que
serait un univers à la hauteur de ces auteurs du numérique? Fait de l’essentiel
pour être pleinement stimulés, de réel et de numérique pour être
avantageusement déséquilibrés cognitivement et intellectuellement, tel le
déséquilibre insécurisant, mais tellement grisant, qui force les premiers pas
en avant des tous petits? Une acrobatie en soit. Puis une autre, encore et encore.
Pas à pas dans un conflit perpétuel, devenant progressivement amalgame, entre
l’équilibre et le déséquilibre, entre la stabilité et le désir d’avancer. Confort
et zone proximale de développement se succèdent à un rythme fou, où rien
n’est évident, mais tellement invitant. Où il faut puiser dans ses ressources
et celles d’autrui pour créer la force nécessaire pour progresser, en incorporant
harmonieusement la quintessence de soi et de l’autre.
Inspirés des arts martiaux, les
acrobates, équilibristes, danseurs, artistes et contorsionnistes, le sont dans
leurs idées, tout comme en piste. Le déséquilibre calculé, le transfert de
poids transformé en une force d'impulsion payante, base sur laquelle ils vont
construire, mixer de nouvelles idées, pour un nouveau mouvement plus osé. À
leur manière, à leur échelle, ils franchissent les murs, dépassent les limites, passent outre les
idées établies, préconçues. Ils veulent créer un monde à leur image, jeune,
vif, simple, articulé, fort, souple, particulier, inclusif respectueux, vrai, mais
aussi numérique. Un monde où les idées sont à la fois mises en commun virtuellement
et réellement, confrontées et valorisées, d’abord à titre d’initiatives
individuelles, puis de contribution collective. En ayant une poussée réflexive individuelle,
on développe plus rapidement des choses en se disant qu’un jour, elles seront
nécessairement intégrées à une action plus vaste et commune qui va plus loin pour
le bien de tous. Une idée marginale, décalée, aura l’avantage de remettre en
questions les bases reconnues. C’est sain et nécessaire dans un processus de
créativité et de renouvellement. Ainsi va la réflexion individuelle axée sur le
progrès de la communauté, la collectivité. Un travail de concert contribuant à
l’avancement d’un projet commun. À tour de rôle et dans l’entraide d’un ballet dynamique
et aérien, tantôt ils fendront l’air, s’appuieront dessus en d’autres temps,
optimisant l’énergie au profit de tous. Gracieusement et avec souplesse, avec
force et agilité, synchrones et coopératifs, ils iront à la rencontre de
l’autre, anxieux de relever les défis qui les attendent. Familles et écoles en sont les sources,
la Tohu et Zone 01 en sont les creusets.
Tout à coup, nous levons les yeux
au zénith, le regard attiré par ce bruit printanier d’une volée d’oies de
retour du Sud. Cacardant, elles semblent d’accord avec nous, joignant le geste
à la parole depuis des milliers de kilomètres, nous replongeant à qui mieux
mieux dans nos songes…
Yvan
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire